Des Racines et des Ailes...

 

 

Du plaisir de vivre... L'automne (suite)

 

 

A l'approche de la fin septembre, les vitrines des bazars se garnissaient de cartables et de cahiers colorés. Le soleil paraissait soudain las de surchauffer la terre et, comme frappé de mélancolie, dardait des rayons moins vigoureux. Les baignades journalières étaient toujours d'actualité mais on voyait bien que le coeur n'y était plus. La foule désertait chaque jour un peu plus la plage. Au sortir de la longue période d'insouciance estivale, je ressentais de façon soudaine ce changement d'atmosphère lorsque ma mère ouvrait sa machine à coudre et commençait à raccommoder les tabliers gris qui avaient survécu à l'année précédente, afin qu'ils soient prêts pour le jour fatidique de la rentrée des classes. Puis on faisait l'inventaire des crayons, gommes et cahiers qui restaient de l'année scolaire écoulée et qui pouvaient à nouveau reprendre du service. C'était l'occasion de faire quelques petits achats: une nouvelle trousse, quelques plumes Sergent-major rutilantes, une boîte de crayons de couleurs etc. Mais ces petites joies étaient entachées par la nostalgie de l'été finissant. Bientôt les feuilles des arbres du boulevard Gambetta se mettaient à jaunir et le vent d'automne les agitait avec un petit bruit de papier froissé. Puis elles tombaient et, au grand dam des balayeurs municipaux, couraient de ci de là dans les rues au gré des bourrasques fantasques. Les jeux de ces derniers jours de vacances avaient comme l'arrière goût amer des choses du passé et le plaisir en était fort diminué..

Le jour de la rentrée des classes arrivait inéluctablement et ma mère me réveillait de bonne heure ce matin là. Après une toilette méticuleuse, j'enfilais les vêtements qui avaient été soigneusement repassés et rangés la veille au soir au pied de mon lit. Ils sentaient bon le propre et le tablier que je mettais pour cette occasion était encore raidi par l'apprêt du tissu neuf. Après trois mois de totale liberté, mes pieds se sentaient à l'étroit dans le cuir un peu rigide des nouvelles chaussures. Dès que j'eusse vite avalé mon petit déjeuner, ma mère passait une ultime inspection de son petit écolier. Un dernier coup de peigne pour discipliner cet épi, le mouchoir dans la poche du tablier et les dernières recommandations: «Fais attention à tes affaires, ne te traînes pas parterre, ne salis pas tes vêtements neufs ! ». Puis avec un baiser en guise de viatique et un petit sourire triste sur le visage, elle me donnait le signal du départ.

Dans la rue, je rencontrais des camarades de l'an passé, certains seuls, d'autres accompagnés d'une grande soeur ou de leur mère. Dans un même mouvement nous allions tous vers l'école à l'autre bout du village. Les amitiés se renouaient qui s'étaient étiolées durant ces trois mois de vacances et chacun de raconter ses propres aventures qui tentaient de surpasser celles des copains. Arrivés à la porte du collège, les élèves s'agglutinaient en petits groupes bavards qui tendaient à reformer les classes de l'année précédente. Au signal, les portes s'ouvraient et comme une marée débordante, les enfants se répandaient dans la cour. Certains essayaient de relancer les jeux de bataille ou de pelote mais l'enthousiasme manquait et la plupart restaient assemblés, inquiets de savoir qui serait dans la classe cette année, quel professeur ils auraient. Des noms circulaient qui éclairaient les visages lorsqu'ils étaient accompagnés d'une renommée de mansuétude, d'autres, qui avait une réputation de plus grande sévérité, faisaient planer une ombre de terreur sur les écoliers abattus à la simple pensée qu'ils auraient à les subir toute l'année. Après que l'appel eut été fait, nous entrions dans les classes où nous nous installions aux pupitres qui seraient les nôtres tout au long de cette année scolaire. On nous distribuait les livres et les cahiers que nous devions utiliser et, après quelques moments d'intérêt pour ces nouveautés, je ne pouvais m'empêcher de lancer un dernier regard plein nostalgie à l'extérieur. Au delà des fenêtres, le port tout ensoleillé était là comme une ultime invite à l'évasion. Comme un écureuil se fait une réserve de noisettes pour l'hiver, je m'emplissais l'âme de ce paysage plein d'attraits, et je faisais provision des images du soleil et du ciel bleu, de la plage et des deux frères, du brise-lame et de la mer, de tous ces lieux féeriques vers lesquels mon coeur soupirerait durant l'année scolaire. Bientôt les cours et les devoirs venaient distraire mon esprit de ses regrets estivaux mais il resterait encore les samedis après-midi et les dimanches pour profiter des milles plaisirs de la pêche et des jeux.

 

Malgré l'approche de l'hiver, le temps restait clément et souvent, le soir après souper, nous sortions nous promener à la douceur des soirée automnales. Nous marchions le long du boulevard du front de mer pour bénéficier de la fraîcheur vespérale. Ce fut durant ces moments là que j'ai pu découvrir la splendeur du ciel de nuit . La pollution lumineuse était bien moindre qu'à notre époque et la nuit étalait ses joyaux au dessus de nos têtes. Les myriades d'étoiles scintillantes, la voie lactée qui traversait le firmament, la lune d'argent à l'éclat parfois si vif qu'elle faisait pâlir les constellations voisines, tout ces astres si lumineux jetaient sur la terre une lumière cendrée qui parfois suffisait à éclairer le paysage. Je guettais les étoiles filantes qui traçaient un sillage étincelant et fugace sur le velours sombre des cieux. Un soir, je repérais un météore moins véloce que les autres qui traversait le ciel et qui, bizarrement, ne s'éteignit qu'à l'horizon: Nous étions en octobre 1957 et je venais de découvrir le premier satellite que les Russes avaient lancé dans l'espace. Il s'agissait du Spoutnik, cette petite sphère de métal aux longues antennes qui annonçait au monde entier avec force bip-bips le début de l'aventure spatiale. Mon imagination débridée s'enflamma aussitôt et je me passionnai pour tout ce qui touchait à la conquête de l'espace

 

  Le ciel de nuit...comme je le voyais !

 

Ce fut le temps des soucoupes volantes et des mystères extraterrestres. Je me mis à dévorer les magazines d'anticipation, les récits de Jules Vernes et les romans de science fiction. Tous mes jeux furent orientés dans cette veine et je me pris à explorer Vénus, Mars et les autres planètes...par la pensée évidemment!. Je rêvais d'aventures extragalactiques, d'Amour sidéral  et de conquêtes stellaires. Je m'inventais les jouets adéquats, faisant d'un couvercle de "Vache qui rit", une soucoupe volante plus vraie que nature. Je la lançais avec une torsion du poignet qui lui donnait un mouvement rotatif, de telle manière qu'elle planait un instant prenant de l'altitude ou en perdant par saccades à l'instar des engins que j'avais vus au cinéma, pour ensuite dans un mouvement rétrograde revenir vers moi comme un boomerang. Bien des années plus tard, ce même jouet, en plastique alors, apparut sur le marché; il venait d'Amérique et s'appelait un Freesbee !..Mon imagination ne s'arrêtait pas là! J'améliorais mes «soucoupes volantes» et leur aménageais une coupole en Cellophane transparent. J'y enfermais des mouches que j'attrapais et considérant que c'étaient mes équipages d'extraterrestres, je les envoyais faire quelques sauts dans l'espace. Bien souvent, leur aventure se terminait sous la roue d'une voiture qui passait malencontreusement par là et réduisait mes engins spatiaux en galettes de carton et de papier, avec à l'intérieur les restes pitoyables de mes voyageurs interplanétaires. N'importe, l'aventure spatiale n'est pas sans danger et il fallait en accepter les aléas

 

  Spoutnik lancé le 4 octobre 1957

Chaque fois que nous sortions le soir, je guettais les satellites qui passaient au dessus de notre petit village et mes pensées s'envolaient tout là haut vers les espaces infinis et cet univers étrange dont nous faisons partie. J'étais soudain envahi du sentiment de la vanité des prétentions humaines, nous qui ne sommes à l'échelle cosmique que des poussières accrochées à un grain de sable. Encore aujourd'hui, lorsque harassé par les soucis d'adultes de notre époque, je lève les yeux vers la voûte étoilée, je plonge mon regard dans l'infini diamanté et je ressens ce même sentiment intense d'appartenance à l'immensité universelle. Mes soucis m'apparaissent soudain ramenés à leur échelle véritable et l'âme purifiée, tout comme le papillon qui se dépouille de son enveloppe larvaire pour prendre son essor, je sens renaître en moi une vitalité nouvelle.

 

Clément

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