Des racines et des ailes...

 

Du plaisir de vivre (suite)...

 

13) L'été

 

L'été, la saison préférée de tous les écoliers, commençait avec la fin des cours. Quel bonheur d'aller à l'école quand le stress des leçons à réciter ou des devoirs à effectuer avait disparu ! Une fois les livres rendus, les heures de classe n'étaient plus qu'une récréation prolongée. Chacun apportait ce qu'il possédait, qui des bandes dessinées, qui des jeux de société, et sous le regard indifférent du professeur nous entamions des parties acharnées de dames, de petits chevaux, de Monopoly ou de bataille. Ces dans ces moments là que j'ai pu découvrir avec ravissement les mondes merveilleux des albums de Tintin ou de Spirou, l'univers délirant des Pieds Nickelés ou celui plus naïf de Bécassine et de Babar. C'était aussi la seule période où j'ai parfois entendu avec regret, sonner l'heure de la récréation qui m'arrachait au plaisir de mes lectures.. Les premières chaleurs venues, nous étions autorisés à ouvrir les fenêtres et la petite brise de mer qui pénétrait dans la classe apportait avec la fraîcheur de l'eau proche, la rumeur du port que nous recevions comme la promesse d'une longue période de joies imminentes. C'était la saison d'une totale liberté à peine entachée par le pensum des devoirs de vacances que j'oubliais aussitôt que bâclés. Chaque jour apportait l'agrément de la baignade sous la surveillance de ma mère ou de mes soeurs, soit ordinairement à la plage de sable, près du petit port de pêche, soit, à l'occasion d'une expédition plus conséquente, à la plage du tunnel ou celles du premier ou deuxième ravin .

 

 

Vue panoramique de la partie ouest de Nemours

 

La plage principale, si je peux l'appeler ainsi, se trouvait à l'ouest de la baie, entre le petit port de pêche et l'embouchure de l'oued. 

Elle était recouverte de sable assez fin qui descendait en pente douce, vers les deux frères et le brise lame.Ceci permettait aux enfants de barboter sans trop de danger. L'affluence était parfois importante car c'était la seule plage qui fut accessible sans avoir de trop longs chemins à parcourir. C'était ma mère, mes soeurs ou notre voisine qui emmenait la bande de gamins de la maisonnée, très souvent en fin de matinée, quand le ménage était achevé, plus rarement l'après-midi, après l'heure de la sieste, quand l'ardeur du  soleil déclinait. 

Ma soeur aînée qui venait de trouver un emploi à l'hôpital, m'acheta un jour, avec son premier salaire, une paire de palmes et un masque de plongée en caoutchouc bleu. Ô le divin cadeau ! Je venais de voir «Le monde du silence » du Capitaine Cousteau au cinéma et avec ces palmes et ce masque je me sentais de taille à égaler le fameux marin. Moi aussi je trouverai un gros poisson à apprivoiser, ce sera mon « Jojo le mérou » ! Je m'efforçais d'explorer le monde sub-aquatique à ma portée, mais hélas, ne sachant pas bien nager à l'époque, je me contentais des visions de plaines de sable du bord de la plage, des jambes des nageurs et de quelques petits poissons furtifs que j'y rencontrais. 
Qu'importe, le plaisir que j'en éprouvais était sans égal
.

 

 

A la plage de Nemours vers 1955

Je marchais très souvent pieds nus. J'aimais ce contact sensuel avec l'asphalte des rues ou le sable de la plage, laissant avec volupté leur chaleur me pénétrer. Ma mère, elle, ne voyait pas cela du même oeil, et dès que je rentrais à la maison, je n'échappais pas au récurage des pieds, debout dans le baquet à linge.

 

 

Les plages des premier et deuxième ravins n'étaient accessibles qu'après une véritable expédition pour la journée. C'étaient les débouchés d'oueds complètement à sec en cette saison. Ils avaient tracé leurs vallons envahis de roseaux entre des dunes de sable pentues que je m'amusais à dévaler en longues glissades sur les fesses. Nous y allions soit par l'interminable route sinueuse qui menait au phare et ensuite longeait la côte, soit par un sentier plus court mais plus acrobatique, qui passait au bas de la falaise sous l'abattoir et moyennant quelques sauts et escalades de roches éboulées menait directement à ces criques. Composées de galets et de sable grossier, elles se prêtaient moins à la baignade des tout petits, le sol s'enfonçant plus abruptement sous la mer.

 

La plage du premier ravin vers 1960

 

Mais en restant tout au bord on pouvait y goûter de longues heures de félicité à courir après les petits crabes et les crevettes de roches. Nous y passions la journée en pique-nique loin de la foule et j'en ai gardé le souvenir de cuisants coups de soleil qui me laissaient le corps douloureux pendant plusieurs jours, mais j'acceptais cette souffrance comme un tribut à payer aux plaisirs de l'été.

La baignade à la plage du tunnel commençait par une longue promenade. Nous prenions la route de Sydna-Yusha qui partait de l'abreuvoir au pied de la colline de Touent puis longeait un vallon arboré où se trouvait la villa Llabador.  A un détour du chemin, nous arrivions à un chalet de bois. C'était la maison pittoresque du charpentier de marine.  Elle ressemblait à un chalet suisse avec ses jardinières fleuries de géraniums. J'espérais voir ses habitants apparaître, les filles en Heidi à la robe fleurie et la tête couronnée de nattes blondes, les garçons en short à bretelles avec un chapeau tyrolien à plume, chantant et yodlant. Bien entendu mes espérances furent régulièrement déçues. En contournant ce chalet, nous arrivions à un gué où coulait, en cette saison tout au moins, un petit filet d'eau qui courait vers un exutoire traversant la colline de part en part pour arriver à la mer.

Ah !! La traversée de ce tunnel ! C'était l'épreuve de la journée. Ce long boyau obscur que nous devions parcourir pour arriver à la plage m'effrayait. J'avais l'impression de pénétrer dans les entrailles de la terre dont d'ailleurs il avait l'odeur. Avec réticence et sans lâcher la main de ma soeur, je m'engageais dans cette aventure. Pendant de trop longues minutes, nous avancions dans une obscurité quasi totale. Les bruits de nos pas et de nos voix se répercutaient sur les parois et nous revenaient en échos avec de bizarres résonances métalliques.  Au bout d'un long moment de ce purgatoire ténébreux, nous voyions poindre un petit point lumineux qui grandissait au fur et à mesure de notre avancement pour enfin, à mon grand soulagement, dessiner la sortie. La lumière azurée qui pénétrait les quelques mètres du tunnel avant l'issue, le vent de la mer chargé d'iode m'apportaient un apaisement qui me faisait oublier qu'il faudrait retourner par le même chemin quelques heures plus tard. La grève, autant que je m'en souvienne, était faite de galets, mais les plaisirs de l'eau n'en étaient pas moins intenses.

Comme toute chose a une fin, l'heure du départ inexorablement sonnait, et je retrouvais le supplice de la traversée du tunnel, le soulagement de la sortie et l'éblouissement de la lumière avec la sensation d'une renaissance. Le chalet était toujours là et ses habitants pas davantage vêtus des habits que je leur imaginais. Les fatigues de la journée m'ayant crispé les mollets, la route du retour que je parcourais en traînant les pieds, me paraissait avoir bien rallongé.

 

Clément

 

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